Dans 10 ans, mon lectorat lira ceci en pensant « c’est ici que tout a commencé » : faut pas que je me vautre sur ce premier article.
Ce beau matin d’hiver, de larges pans de ciel bleu encadrent un soleil pâle. Un légère brise sud-sud-ouest caresse la campagne engourdie et les lourds sillons hesbignons fument encore de la rosée de l’aurore. Pourtant, au loin, presqu’invisibles encore, le ciel se charge de lourds nuages noirs. Ceci à la fois pour vous filer un début poétique et vous signaler que je bosse devant la fenêtre.
« Flûte alors, encore un billet sur la météo » vous dites-vous (vous ais-je déjà dit que je lis dans vos pensées ? non ? voilà, c’est dit). Détrompez-vous. Même si j’aurai aimé disserter sur l’évolution des cumulo-nimbus ou le développement des dépression subtropicales, il y a malheureusement des sujets plus graves.
En effet : un ministre wallon, lequel a dans ses attributions, excusez du peu, « l’environnement, la transition écologique, l’aménagement du territoire, les travaux publics, la mobilité, les transports, le bien-être animal et les zonings » (oui, tout ça), ce ministre donc, propose de transformer en agents sanctionnateurs certains citoyens qui organisent déjà bénévolement la surveillance de leur propre quartier. C’est dire des retraités qui n’ont que ça à foutre ou des chômeurs qui n’ont pas la télé. A charge pour eux de traquer les terribles incivilités telles que sortir son sac poubelle deux jours avant la collecte, jeter ses déchets dans nos verts pâturages, écraser son mégot sur un banc public (saloperie de fumeurs) ou jeter le fruit de la vidange de la Corolla dans le collecteur d’égouts. Ils pourraient donc faire infliger des amendes à leurs indélicats voisins. Et, cerise sur le poteau (d’exécution), ils seraient rémunérés pour ce faire ! Une misère, mais rémunérés quand même.
« Magnifique ! traquons ces vils pollueurs, sauvons cette planète que nous empruntons à nos enfants, portons au pilori ces infâmes profanateurs, qui viennent jusque dans nos bras égorger nos-fils-nos-compagnes-tatatsoin « vous dites -vous (vous ais-je déjà dit que je lis dans… ah oui, déjà dit). Et vous avez raison ! En effet, de nos jours, ne tentez pas de vous débarrasser de votre canette vide autre part que dans le sac PMC ou de jeter la pile usagée de votre godemiché (oui, celui que vous cachez sous une paire de draps dans la commode. Ne niez pas, je vous connais) avec les déchets ménagers. Vous seriez immédiatement condamné à l’opprobre générale, montré du doigt dans la rue ou pire : exclu du club de philatélie de cousin Georges ! Alors, si vous tenez à votre vie sociale, ne déconnez pas avec les déchets.
Bref, si l’intention peu paraître louable, la méthode est pour le moins discutable.
Balancer ses contemporains déviants aux autorités, c’est une désagréable manie qui a toujours existé, mais qui a tendance à se banaliser ces derniers temps. En matière de fraude fiscale notamment. C’est même organisé officiellement, rendez-vous compte. Et comme je vous sens frétiller d’envie à l’idée de vendre votre petit voisin Mathieu, 15 ans, qui tond la pelouse de Madame Duchemolle pour 6 euros de l’heure tous les 15 jours, je vous file le site : ici . Si par contre vous désirez dénoncer le vil comportement du papa de Mathieu, qui un jour a mâté vos grosses cuisses alors que vous portiez cette mini jupe que vos amies trouvent tellement trop choupinette, c’est là. Ne me remerciez pas, ça me fait plaisir.
Voici donc qu’on propose aux retraités et autres désœuvrés cités plus haut de se joindre aux agents constatateurs déjà existants (aussi appelés stewards urbains, gardiens de la paix ou encore « les mecs en mauve », rapport à leur uniforme), pour faire le même boulot qu’eux mais avec une aumône à la place d’un salaire… mais dites moi, monsieur le ministre, ce ne serait pas de la main d’oeuvre pas chère que vous vous offririez là ? Par hasard ? hein ? A l’heure des économies d’échelle et des restriction de dépenses publiques, on ne peut que vous en féliciter… hum hum…
Le tout avec une « formation » tellement simplifiée qu’elle n’en est pas une, sans vérification sérieuse des antécédents ou des motivations. J’imagine d’ailleurs bien cette brave Mamy Brichart, 62 ans, venir reprocher à Brandon, 20 ans, 1 mètre 90, 110 kilos, d’avoir écrasé sa Marlboro sur un tronc d’arbre. Si elle aime le son mat de phalanges sur son crâne, elle ne va pas être déçue du voyage… A l’inverse, quand Abdul, bodybuilder sans emploi, ira apostropher Mononc’ René qui aura malencontreusement jeté son journal avec les déchets plastiques, il va déguster, le pauvre René.
Comme j’aime les raccourcis faciles autant que la mauvaise foi et qu’au bout de moultes lignes il est grand temps d’atteindre le point Godwin, permettez-moi de faire un parallèle que vous avez sûrement vu venir (car vous êtes des malins, la preuve : vous me lisez).
Encourager, structurer et institutionnaliser la délation, ça c’est fait dans nos contrées, il y a quelques dizaines d’années. C’était organisé gracieusement par nos voisins germaniques et ça a fait fureur, si vous me passez l’expression.
Ainsi, lorsque les zélées brigades de dénonciation d’incivilités seront constituées, complétées par des gardes civiques de réserve, des conseils de surveillance de la communauté, il ne restera qu’à organiser un organe central de gestion de tout ce bordel. Je propose qu’on appelle ça GEndarmerie STAtutaire Pour l’Ordre. En reprenant les premières lettres, y’a même moyen de faire un joli acronyme.
Vous les voyez poindre maintenant, les lourds nuages noirs ? En tendant l’oreille, on entend même un léger bruit. Cadencé, puissant. Celui de milliers de bottes.
Facile n’est-ce pas ? Sauf qu’ici, cette (brillante) analyse et cette (non moins brillante) démonstration ne tiennent pas la route. Le parallèle est trop facile, il est même éculé. Délation ne rime pas forcément avec fascisme, dénonciation n’est pas l’apanage des régimes totalitaires. La preuve ? Ce point Godwin justement, qui prouve bien que même les contradicteurs à court d’arguments n’ont pas oublié l’hystérique moustachu.
« Alors qu’est ce donc ? » me direz-vous, car vous êtes des curieux. C’est tout simplement de la connerie, du clientélisme saupoudré de démagogie et qui surfe sur l’air du temps. Car faire participer les citoyens à leur propre sécurité, c’est un peu comme leur demander d’aller désherber les champs de patates, au prétexte qu’ils participeront ainsi à leur alimentation. En oubliant un peu vite que la sécurité est un métier à part entière, qu’il est déjà exercé par quantité de professionnels (mal payés) et qu’il n’y a plus de mauvaises herbes dans les champs depuis qu’ils sont bourrés de pesticides.
Ainsi, pour conclure, j’aimerai demander à Monsieur le Ministre de foutre la paix à ses concitoyens et de leur laisser le droit qui devrait les préoccuper tous : le droit de se mêler de leurs oignons. Mais ça, ce n’est que mon avis.